la posture juste à la performance | |
la conscience du corps à l’image du corps | |
l’attention à l’objectif | |
la détente profonde à la tension | |
le non-effort à l’effort | |
la présence à la culture de la sensation. |
La pratique
du Yoga c’est un retournement qui nous invite au
non-faire, nous qui sommes plongés dans
l’agitation, au silence, nous dont le mental
n’est jamais au repos. A notre esprit
conditionné par la pensée dualisante, elle se
présente comme un paradoxe constant : rigueur et
spontanéité, intensité et détente profonde,
détermination et abandon.
La
finalitédu Yoga
En Inde,
dans le sens large, le mot Yoga s'entend de
toute voie menant vers la vérité. Dans cette
perspective le mot Yoga signifie alors
réintégration dans l'Unité. En ce sens la
musique, la danse comme tout système de
méditation sont des Yogas.
Ce qui nous
concerne davantage c'est le Yoga dans le sens du
travail corporel, celui qu'on appelle
Hatha-Yoga. Ultimement, la finalité de ce
travail corporel sera la même, à savoir
l'expérience de l'Unité. Cependant cette
expérience emprunte une voie particulière :
celle qui consiste à éveiller l'énergie cosmique
qui réside dans le corps, la Kundalini Shakti.
L'éveil de cette énergie requiert un travail de
transformation du corps ; dans ce but sont
enseignées les postures, appelées asanas, et les
techniques de respiration appelées pranayama. Le
développement de la concentration et le calme
mental sont deux éléments indispensables dans
cette voie
Telle est
la finalité du Yoga dans le cadre d'une culture
datant de 3 millénaires. Pour chacun de nous la
finalité est celle qui correspond à nos
aspirations. Au commencement, le plus souvent il
y a le besoin de se détendre, celui, de renouer
avec le corps et de reprendre contact avec son
être profond, avec la vérité de soi-même. Ces
aspirations sont plus ou moins conscientes
lorsque l'on commence la pratique du Yoga ;
elles traduisent un total retournement par
rapport aux valeurs sur lesquelles fonctionne la
société, elles sont un retour vers l'essentiel,
vers ce qui donne sens à la vie que nous sommes.
En rapport
avec ce travail corporel, il est important
d'insister sur les deux tendances qui traversent
le Yoga, sans doute depuis les origines.
Le premier
courant consiste à transformer le corps, par la
pratique des postures et de la respiration ;
cette transformation agit sur la conscience qui
est à son tour modifiée, c'est-à-dire affranchie
de ses limites. Il s'agit d'un processus, donc
le temps est nécessaire. L'enseignement
traditionnel développe une pédagogie destinée à
faire franchir les diverses étapes de ce
processus.
Le second
courant nie le processus : c'est l'expérience du
corps elle-même qui est la transformation. Il
n'y a donc aucune fin en soi, aucun objectif,
seulement l'attention, le présent. L'attention
n'est pas mentale, elle est globale et relève de
tout notre être : elle exige une grande
lucidité, car il n'y a attention véritable qu'au
moment où nous sommes libres de tout
conditionnement. C'est cette attention qui
transforme ce qui doit l'être. Il n'y a donc pas
processus mais une transformation, une mutation
radicales, instantanées. Le temps n'intervient
pas. Ce courant est représenté par
l'enseignement de Krishnamurti : "le premier pas
est le dernier pas".
dans
quelles dispositions pratiquer les postures ?
Le texte qui
fonde la pratique du Yoga s'appelle les Yoga
Sutras; la phrase célèbre des Yoga Sutras est la
suivante : "sthira sukha asanam" ce qui signifie
: la posture est ferme et souple. Nous sommes au
cœur d'un paradoxe, d'un côté la fermeté, la
volonté, la rigueur; de l'autre côté, la
souplesse, la détente. Ou encore nous pourrions
dire l'effort et le non-effort, la volonté et le
lâcher-prise.
Une posture
doit être effectuée de façon très précise,
laquelle peut être différente d'une personne à
l'autre; prendre la posture requiert aussi un
effort, un acte de volonté. La posture juste
restructure le corps : elle rééquilibre,
redresse la colonne, ouvre la cage thoracique,
les ceintures pelvienne et scapulaire. Il y a en
cela une rigueur, une exigence. Cette rigueur,
cette exigence nous structurent intérieurement;
cela est particulièrement important à l'époque
actuelle. Une rigueur excessive conduirait non
plus à une structure vivante mais à la rigidité.
Il y a donc une intelligence dans le travail
postural.
L'intelligence s'exprime également dans l'art de
prendre et maintenir une posture sans tensions.
Pouvons-nous décider d'être parfaitement
détendus ? Nous ne le pouvons pas, mais nous
avons tous l'aptitude à prendre conscience des
tensions qui sont présentes, qu'il s'agisse des
muscles des mâchoires, du dos ou de la
crispation des orteils. Cette attention amène la
détente, elle est écoute, une écoute globale à
laquelle tout le corps et tout l'être
participent.
La
tradition distingue ainsi sthira asanam, la
posture dans la fermeté, sukha asanam, la
posture prise dans la détente, et gurum asanam.
Cette dernière est la posture qui conjugue
naturellement sthira et sukha, fermeté et
résolution des tensions. Dans la pratique nous
commençons par sthira, la fermeté qui crée la
structure à partir de laquelle nous serons aptes
à diriger notre attention dans le sens de sukha
: d'abord l'accent est mis sur la rigueur
ensuite sur l'écoute. Dès le départ il y a un
dosage entre ces deux pôles; ce dosage est
fonction de la personnalité de chacune et de
chacun.
Dans mon
enseignement je propose cette démarche selon une
pédagogie qui s'appuie sur les points suivants :
La rigueur :
l'attention est placée dans la façon juste de
prendre la posture. Ce n'est pas l'objectif qui
compte, il ne s'agit pas d'aller le plus loin
possible mais de la façon la plus juste
possible.
L'écoute :
elle est globale, ce sont tous les sens qui sont
en éveil. Dans cette écoute globale, totale,
dans cette attention les tensions corporelles se
dénouent, la respiration devient calme et le
mental s'apaise.
La primauté
de la respiration : il ne s'agit pas de faire
d'abord la posture puis de plaquer de la
respiration sur cette posture ; dans un premier
temps la respiration est calme, sans tensions,
donc régulière et profonde ; dans un second
temps la posture se déroule sur la trame de
cette respiration, en accord avec elle.
La
neutralité : il ne s'agit pas non plus de
rechercher des sensations ou de plaquer des
sensations sur les postures. La neutralité
signifie que nous ne sommes pas investis
émotionnellement dans l'action, par conséquent
nous sommes libres ; dans le cas de la posture
nous sommes libres d'observer, d'être présents.
Les émotions et les sensations, qui leur sont
liées n'ont pas à interférer dans nos postures.
La culture occidentale considère les émotions et
la vie sensorielle comme l'expression de notre
personnalité et encourage celle-ci. Pourtant il
n'en est rien : les émotions, les sensations et
les impressions nous subjuguent et en
définitive, si nous sommes tous convaincus de
diriger nos vies, ce sont bien ces émotions, ces
sensations et ces impressions chaotiques qui la
dirigent.
Le rythme :
la régularité du rythme dans la posture et dans
la succession des postures est fondamentale :
les fonctions corporelles sont basées sur des
rythmes qui relient le corps à ceux qui
ordonnent l'univers.
L'impeccabilité : les trois derniers points sont
contenus dans les deux premiers. La notion qui
résume cette attitude, cette démarche est
l'impeccabilité. Celle-ci ne signifie pas la
perfection, elle signifie que l'on place toute
son attention, sa vigilance dans la mise en
œuvre de ces 5 points. C'est à la portée de
chacun contrairement à la perfection.
Nous pouvons
tous être attentifs à la façon juste dont nous
prenons une posture, à rester dans notre rythme,
sans tension, grâce à une respiration juste;
ceci amène naturellement la neutralité dont nous
sommes alors pleinement conscients. A ce moment
nous faisons l'expérience de ce qui est hors du
temps, nous laissons le fini pour l'infini, ce
que la tradition a exprimé de nombreuses façons.
Relaxation
et detente profonde
Le yoga
traditionnel n’envisage pas, comme c’est le cas
dans les cours en Occident, de séance de
relaxation à la fin de la série de postures, et
rarement des moments de relaxation entre les
postures.
- Dans
l’absolu, la relaxation a lieu d’être dans la
posture, pas après. La nécessité de se détendre
après une posture, indique que celle-ci n'a pas
été effectuée de façon appropriée. En définitive
c'est le mental qui a conduit la posture et non
la sagesse du corps. Le mental est dominé par
l'inquiétude ; l'inquiétude constitue la
substance du mental. C'est pour cette raison
qu'il est toujours pressé, passant sans cesse
d'une activité à l'autre : le non-faire lui est
insoutenable. Dans ces dispositions, on ne peut
qu'effectuer une posture avec un cortège de
tensions, et ensuite plaquer sur celle-ci de la
relaxation.
- Dans la
réalité de chaque jour, les personnes qui
pratiquent le Yoga, aujourd’hui, et pas
seulement dans les pays occidentaux, vivent dans
un tel état de stress que la relaxation finale
leur est indispensable. Cependant la relaxation,
que ce soit entre les postures ou après
celles-ci, favorise la rêverie et la culture des
sensations ; ceci est totalement étranger au
Yoga.
Pour ces
raisons, je préfère le terme et le concept de
détente profonde qui me semblent beaucoup plus
justes. La relaxation est une technique, elle
utilise la suggestion, une certaine forme de
rêverie, et cultive les sensations. La détente
profonde n’a rien à voir avec une technique,
elle procède d’une sagesse, donc toute
suggestion est exclue. Elle fait appel à la
réalité, qu’elle ratifie simplement. C’est donc
un ancrage dans le réel. Cultiver l’irréel,
c’est-à-dire, la rêverie et les sensations, et
cultiver le réel, cela conduit à des résultats
opposés.
Quelle
place accorder aux Emotions ?
Cette
question revient souvent ; nous sommes tous, à
un moment ou un autre, confrontés à des émotions
qui nous envahissent, sans savoir que faire, et
surtout sans pouvoir faire quelque chose.
Le Yoga
classique, traditionnel, a une vision négative
des émotions, à tel point qu'il enseigne le
contrôle de celles-ci. A l'opposé la psychologie
occidentale propose leur intégration. Il est
évident que vivre dans le contrôle n'est pas
vivre dans la liberté. Intégrer les émotions
représente une acceptation, mais le fait même de
devoir les intégrer, les fixe comme une
problématique, donc, le conflit subsiste.
Avant de
déterminer quoi faire, observons quelle est la
nature de l'émotion. Les émotions sont
nombreuses, toutefois, la tradition indienne en
fait un classement en 9 émotions, parfois 8 ou
10 selon les textes. Ces 9 émotions représentent
les formes multiples, de l'émotion fondamentale
qui est une. Lorsque nous sommes calmes et
attentifs, nous percevons nettement que chaque
sensation porte une charge émotionnelle : toute
sensation est émotion (peur, tristesse, joie,
etc...). En réalité la vie est émotion,
constamment. Cette émotion, sous ses multiples
expressions, est corporelle, elle est d'abord et
avant tout ressentie. Nous le savons bien
lorsque l'estomac se noue, la gorge se serre ou
au contraire, lorsque la poitrine se dilate.
Le problème
commence dès lors que nous donnons une dimension
psychologique à l'émotion, sous l'impulsion du
mental. On cherche donc à analyser, expliquer
les émotions. Cependant, l'analyse ne donnera
jamais une connaissance totale, profonde, elle
restera toujours une connaissance superficielle,
car restreinte aux limites étroites du mental.
Nous le
découvrons, l'émotion a besoin d'être ressentie,
vécue dans une corporalité libre, sensible. Il
s'agit d'une écoute, non-mentale, sans
intention, sans direction. Cette écoute
non-intentionnelle est ce que j'appelle la
neutralité. Celle-ci ne consiste pas en
l'absence d'émotion ou à une prise de distance
vis-à-vis de celle-ci. Reprenons le terme, elle
est écoute non-intentionnelle. Pour le moi,
l'ego, ceci est insupportable, car dans cette
écoute, dans ce silence, dans ce non-faire,
l'ego n'est plus. D'où les résistances, les
peurs qui font obstacle à cette écoute.
Cependant,
dans l'aspiration, la neutralité grandit,
s'impose ; alors la nature profonde de l'émotion
se révèle en tant que créativité. La créativité
n'est pas l'imagination. Laisser libre cours à
cette "folle du logis", rechercher
l'originalité, cela n'est pas la créativité mais
juste l'affirmation de l'ego. La créativité est
l'essence de l'être, de la conscience, au même
titre que la joie, le silence, la compassion.
Face aux
émotions, il n'y a donc pas quelque chose "à
faire" ; il s'agit de laisser vivre l'émotion
dans le ressenti, la clé est la neutralité.
Yoga
et thErapie
La question
suivante est souvent fréquemment posée : celle
de la posture ou la technique de yoga
spécifiques à une pathologie physique ou mentale
particulière.
Le yoga
n'est pas une thérapie, encore moins une
psychothérapie ou une thérapie émotionnelle ; il
n'est pas davantage une technique
d'épanouissement personnel. Le yoga ne se range
pas au rayon des techniques ou des méthodes,
aussi nobles ou efficaces soient-elles.
Le monde
moderne s'est bâti sur le culte de l'individu,
dont le corollaire est l'efficacité. La valeur
suprême est en conséquence de s'affirmer en tant
que personne, ce qui signifie réussir
professionnellement et posséder toujours plus.
Pressentant que cela n'est pas le bonheur,
encore moins la joie, l'homme moderne a une
nouvelle exigence, l'épanouissement personnel.
Ainsi chacun
se livre à une compétition effroyable, la vie
devient une lutte de tous les instants, l'autre
devient l'adversaire. Il faut trouver des
techniques, des méthodes, pour toujours plus
d'efficacité, et pour retrouver un équilibre,
les deux termes étant contradictoires. Quel
équilibre peut-on espérer dans ces conditions ?
Qui veut voir la réalité telle qu'elle est ? Le
culte moderne de l'individu est une tyrannie et
l'avidité pour les possessions matérielles une
aliénation. Le stress est l'expression de notre
lutte incessante.
Le Yoga
n'est pas de l'ordre de l'avoir mais de l'être,
il n'est pas une technique, mais une profonde
sagesse, ce qui signifie que l'approche de
l'être humain qu'il propose est un tout. Il ne
divise pas la vie en morceaux, avec une
technique pour telle partie, et une autre pour
telle autre partie. Il nous fait grandir dans
l'être. Si à un moment ou un autre une thérapie
s'avère nécessaire, alors on suit une thérapie,
quelle qu'elle soit, physique ou psychologique,
mais en sachant pourquoi on le fait, et ce que
l'on fait. Le Yoga n'est pas fait pour résoudre
nos problèmes. Par contre, il amène à
approfondir notre sensibilité, celle-ci est
corporelle avant tout, alors qu'une corporalité
tissée de tensions s'exprime par la sensiblerie
ou l'indifférence. Dans sa globalité le Yoga
fait éclore la connaissance de soi, connaissance
non-mentale qui s'enracine dans une corporalité
consciente, vivante, sensible. Dans cette
connaissance de soi et dans la créativité d'une
véritable sensibilité, les problèmes n'ont plus
d'actualité.
Les idées
sont souvent des dictatures, celle de
l'épanouissement personnel particulièrement.
Pourtant cette idée est absurde : comment
peut-on s'épanouir seul ? Ce serait monstrueux.
Le Yoga ne propose pas de devenir autre que ce
que l'on est, ou meilleur. Il amène à la
disparition de l'individu. Il libère de
l'illusion d'être une personne. Nous sommes en
effet pathétiquement attachés à ce que nous
considérons comme notre identité : le corps et
le mental.
La
connaissance de soi
La
spiritualité n’est ni une question de
connaissances livresques, ni une question de
sentimentalité, encore moins un syncrétisme
facile et naïf. Certes les livres ont beaucoup à
nous apporter, l’ouverture du cœur est
essentielle mais n’a rien à voir avec un
quelconque romantisme spirituel. Toutes les
traditions ont leur valeur, mais aussi leurs
limites.
Le mot
spiritualité est un mot piégé ; je préfère
parler de connaissance de soi et de perception
de l’intemporel, du sacré.
Le mot
méditation est aussi un mot piégé, à notre
époque qui déforme et avilit toute chose. Selon
Krishnamurti, la méditation est cet espace où
l’on explore son propre moi ; cette plongée au
fond de soi-même ouvre à cette réalité au-delà
de soi et de tout, que l’on peut appeler le
sacré.
La
spiritualité, la méditation, commencent par
l’exploration de soi. Il ne s’agit cependant ni
d’une thérapie, ni d’une technique
d’épanouissement personnel, encore moins d’idées
ou de théories. La plupart des enseignements
traditionnels ont transmis cette connaissance de
soi, sous des formes contingentes à leur époque
et à leur culture. Aujourd’hui, l’enseignement
de Krishnamurti me parait extrêmement adapté au
monde moderne, parfaitement cohérent et d’une
grande profondeur.
Une démarche
de Connaissance de soi n’a pas grand-chose à
voir avec des techniques, par nature limitées,
mais elle fait appel à l’observation, à l’art de
voir, d’écouter. Certaines approches de
psychologie, fondées sur l’analyse, nous
proposent de nous adapter, de nous amender ; ici
il est question d’autre chose, d’une révolution
intérieure, d’un changement radical. Ceci parce
que l’exploration de soi, la connaissance de
soi, fondées sur l’observation, amènent à une
perception globale, non-mentale,
non-conceptuelle, de notre véritable nature ;
cette perception nous libère des images, des
croyances, des impressions latentes et des nœuds
émotionnels qui nous asservissent.
Discipline
La
discipline est nécessaire pour apprendre, par
exemple à jouer d’un instrument de musique, ou
encore les mathématiques.
Mais
est-elle nécessaire sur le plan psychologique ?
Peut-on avancer dans le yoga ou la connaissance
de soi sans discipline ? La spontanéité ne
serait-elle pas préférable ?
Nous avons
tous besoin de nous structurer, sans doute
davantage aujourd’hui, dans un monde qui perd
ses repères, qu’autrefois. Sans structure nous
ne pouvons bâtir. La discipline, dans un premier
temps nous oblige à nous structurer. Puis vient
un moment où elle devient restriction : alors,
ou bien elle devient un refuge pour éviter de
faire face à la vie, ou bien la rigidité gagne
le corps et le mental.
Cette
évolution est le signe du mauvais usage que nous
avons fait de la discipline. Nous l’avons
extériorisée en tant que règle imposée par
l’extérieur. Cet extérieur peut être notre
propre moi qui a intégré une règle qu’il
s’impose à lui-même, dans une sorte de
refoulement. Nous aurions dû intérioriser la
discipline, la rendre vivante, la comprendre,
non comme une règle, une obligation morale.
Alors elle n’est plus une obligation, mais une
nécessité, elle fait partie de l’art de vivre.
La discipline extériorisée fait de notre vie une
succession de tâches considérées comme des
corvées ; intériorisée, la tâche devient
joyeuse, et la vie devient spontanéité, liberté,
et non plus restriction, revendication.
Tout est
appelé à se transformer. Ce que nous ne
transformons pas nous sclérose et nous limite.
Ainsi la discipline peut être un carcan,
cependant elle peut devenir un moyen,
indispensable, vers la liberté et la créativité.
Est-il
possible de ne pas avoir d’image ?
La question
est essentielle : nous ne communiquons pas
vraiment car nous avons une image de nous-mêmes,
et nous nous accrochons à cette image, l’autre
aussi a une image de nous, forcément différente.
Nous ne communiquons pas car le dialogue
s’établit d’image à image. Toute image est
fausse, toute image est donc un mensonge.
Nous avons
également des images de la réalité, nous ne
sommes pas en contact, ou en de rares moments
privilégiés, avec la réalité telle qu’elle est,
le "ce qui est", selon l’expression de
Krishnamurti.
L’image
c’est du passé, dans le présent il n’y a pas
d’image. C’est donc un concept, souvent marqué
d’une charge émotionnelle intense. Pourquoi ? En
cause, il y a le désir d’être quelqu’un ; être,
dans le sens plein du terme, et être quelqu’un,
cela est antinomique : dès que je suis ceci ou
cela, je ne "suis" plus vraiment, je me suis
objectivé. Le désir d’être reconnu, d’être
quelqu’un, on peut dire aussi le désir de
devenir, ce désir est sans cesse à l’œuvre. Il
nous faut le reconnaître, sinon nous nous
piégeons nous-mêmes constamment.
Ce désir
d’exister étouffe un autre désir qui est en
nous : le désir, l’aspiration à être vrai. En
nous observant, ce qui frappe c’est que le désir
d’exister se traduit par une activité inquiète
et obsédante de la pensée, alors que
l’aspiration à être vrai engendre le silence, le
calme. Voici donc la clé : se demander s’il est
possible de ne pas avoir d’image c’est en fait
poser la question suivante, la pensée peut-elle
cesser ? Il n’y a pas de méthode, de technique.
La pensée cesse spontanément lorsque
l’aspiration à être vrai vit en nous, elle se
renforce constamment quand le désir d’exister
prend les commandes. Les méthodes, les
techniques conduisent à renforcer l’emprise de
l’ego, donc de la pensée. Elles peuvent donner
l’illusion du silence, mais elles ne peuvent que
réprimer la pensée pour un temps. Toute
technique nous fait vivre dans la restriction.
Ce n’est pas l’effort qui nous transforme, qui
nous libère, c’est seulement la prise de
conscience. L’effort vient de l’ego, mais la
prise de conscience ne peut pas venir de l’ego,
sa condition c’est l’abdication de l’ego. Avoir
le courage de voir la réalité telle qu’elle est,
cela seul suscite la prise de conscience.
La pensée
est conditionnée, elle est un automatisme. Elle
a son rôle dans le domaine pratique, mais dans
le champ psychologique elle représente
l’activité de l’ego : par le fait de penser,
celui-ci maintient son existence, tout au moins
il en donne l’illusion. Quand je ne pense pas,
je n’ai pas d’image, alors je ne "suis" pas en
tant que "je", en tant que moi séparé,
qu’existence individuelle. Je ne suis pas, du
point de vue de l’ego.
Dans cette
absence de moi, il y a seulement observation ;
dans l’autre sens nous pouvons dire lorsque nous
observons vraiment, ce qui requiert toute notre
attention, toute notre énergie, alors le moi,
l’ego est absent, la pensée a cessé. Nous ne
pouvons penser et observer en même temps. Dans
l’acte de penser il y a dualité : le penseur et
la pensée. Dans l’acte d’observer il n’y a plus
de dualité, l’observateur et la chose observée,
puisqu’il n’y a plus de moi ; il n’y a plus que
l’acte d’observer. Alors "je" suis présent, mais
ce je n’est pas le moi, l’individu séparé. Il
n’est pas personnel.
Nous sommes
habités par le passé, donc nous ne sommes jamais
neufs ; seul le neuf peut être en contact avec
la réalité, toujours neuve, qui ne peut jamais
être figée dans une image, dans une idée. La
vraie question c’est l’observation : je ne peux
pas poser la question ainsi : comment observer,
car il s’agit alors d’une méthode et je retombe
dans le comment, qui est toujours une question
fausse. Mais nous prenons conscience des
conditions requises par l’observation : elle
doit être sans mobile. Tout mobile vient de
l’ego, tout mobile cache un intérêt. "On ne voit
bien qu’avec le cœur" dit le Renard dans Le
Petit Prince. Le cœur c’est la sensibilité
profonde, le sentiment profond, l’émotion
profonde, qui sont impersonnels, ce n’est pas la
sensiblerie, ni l’émotivité, ou une quelconque
forme de romantisme religieux ou sentimental,
qui proviennent de l’ego. Ce n’est pas ce que le
monde actuel entend sous le terme émotion, qui
n’est le plus souvent qu’une forme d’excitation.
Le Shivaïsme cachemirien le décrit comme
"Spanda", le frémissement.
L’observation
est contemplation.
L'EFFORT ET
L'ENERGIE
L’action
nous demande le plus souvent un effort,
l’attention exige elle aussi un effort souvent
plus grand. L’attention est nécessaire pour
observer la réalité de la vie, pour prendre
conscience de la vérité de nous-mêmes ; l’action
se doit d’être juste.
Les voies
spirituelles, et les morales, mettent l’accent
sur l’effort personnel. Le Shivaïsme non-duel du
Cachemire met l’accent sur l’ardeur, l’élan ;
Krishnamurti lui aussi rejette l’effort et
insiste sur la passion, laquelle dans son
vocabulaire correspond à l’ardeur du Shivaïsme.
Pour l’un comme pour l’autre, cette passion,
cette ardeur sont une expression de l’amour.
Il est
clair que l’effort est issu de l’ego ; il est
peu productif et revêt un caractère prométhéen.
L’être humain qui se situe, au moins
temporairement hors de cette dimension de l’ego,
cet être humain est dans le courant de la vie,
et l’énergie est l’expression de la vie.
L’énergie ne s’épuise jamais, elle déplace les
montagnes. Il est essentiel de ne pas confondre
l’effort et l’énergie, cela dans le cadre de
l’action, comme dans celui de la méditation, que
l’on donne à ce mot le sens traditionnel d’une
pratique d’intériorisation, ou le sens que lui
attribue Krishnamurti, celui d’observation :
observation de notre conscience, de la pensée et
de ses mécanismes, une observation de la vie,
qui revêt une dimension contemplative.
Qu’il
s’agisse d’action ou d’attention, en général
nous devons recourir à la discipline ; mais
celle-ci requiert l’effort. C’est ainsi que nous
procédons, car c’est ce qui nous a été transmis.
L’attitude juste n’est évidemment pas de se
faire violence, mais d’éclairer, d’examiner
pourquoi on n’a pas envie d’accomplir cette
action, ou d’exercer son attention.
Probablement, découvrirons-nous un manque de
clarté, une confusion, qui plombent l’énergie et
l’empêchent d’agir.
LE LIBRE-ARBITRE
Le
libre-arbitre est une idée récente, apparue avec
la philosophie des Lumières, qui exalte
l’individu et la liberté. Mais qu’est-ce que la
liberté ? Elle est bien difficile à définir.
S’agit-il de circuler librement, de faire ce que
l’on veut ? On ne peut jamais faire tout ce
qu’on voudrait, ce serait d’ailleurs
catastrophique.
Le
libre-arbitre est l’un des pivots sur lesquels
sont rendues les décisions judiciaires. Chacun
évoque souvent son libre-arbitre, mais il est
intéressant de se rappeler que c’est une
revendication récente, que la tradition
orientale dans son ensemble est convaincue qu’il
n’existe pas. Evidemment la notion de
libre-arbitre est la conséquence logique de la
primauté de l’individu, et plus fondamentalement
de la conviction que nous sommes des êtres
individuels.
La science
nous apprend que nous sommes toute l’évolution
de l’espèce, que nous sommes l’humanité. La
psychologie nous montre que nous sommes habités
par nos parents, et au-delà par notre lignée
généalogique. Dans ces conditions, pouvons-nous
nous considérer comme des individus ? Où réside
alors notre liberté ?
La
conception bourgeoise, matérialiste et étriquée
de la liberté ne vaut vraiment pas la peine. Du
point de vue de la pensée indienne, l’ignorance
de notre vraie nature est la cause de toutes les
souffrances. La liberté c’est donc la
connaissance non-mentale de notre véritable
identité, qui n’est pas individuelle, mais
cosmique, puisqu’il s’agit du Soi, l’ultime
Réalité non duelle : "tu es Cela" disent les
Upanishads.
Le
Shivaïsme, en particulier dans le Vijnana
Bhairava Tantra, indique qu’une voie d’accès à
cette prise de conscience passe par
l’entre-deux, l’Instant intemporel. La
non-dualité implique la discontinuité : c’est la
mémoire qui donne une continuité au temps, une
persistance et une identité au moi. Ainsi il y a
un espace entre l’inspiration et l’expiration,
entre deux pensées, entre deux perceptions. Ces
espaces sont autant d’occasions de prendre
conscience de la nature du vide qu’ils
représentent. Le vide, l’espace, par essence
intemporels, sont le Soi.
D’un point
de vue psychologique, la revendication à
devenir, à exister, à s’affirmer est tout le
contraire de la liberté, c’est une restriction,
un enfermement. La liberté advient lorsque le
désir d’être en tant que moi nous a quittés.
Rien ne fait plus obstacle alors à la plénitude
de la viehttp://www.yogalyon.com/
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire