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Ramana Maharshi par Henri Hartung
« Les paroles du sage, écoutées en silence, valent mieux
que les bruyants discours d’un prince dans une assemblée de sot ».
que les bruyants discours d’un prince dans une assemblée de sot ».
L’Ecclésiaste, IX, 17.
Un jeune hindou, d’une très modeste
famille, vivant à l’extrême sud de son immense pays. Fin du dix-neuvième
siècle. Naissance en 1879. Aucune formation particulière autre que
celle dispensée par les professeurs de l’école locale. Dix-sept ans. Une
expérience fulgurante suscitée par la crainte de la mort. Un appel
intérieur : se rendre sur le mont sacré d’Arunachala. Un quart de siècle
de silence dans les grottes naturelles de cette montagne. Puis, une
durée un peu plus prolongée au milieu de quelques modestes maisons
situées à ses pieds. Mort physique juste au milieu du vingtième siècle.
Quelques très rares récits. Aucune connaissance des langues étrangères, à
part quelques rudiments d’anglais. Aucune étude particulière sur les
grandes Traditions orientales. Encore moins, si je puis ainsi écrire,
sur les religions lointaines, comme le christianisme. Jamais une
initiative « publicitaire » afin de se faire connaître. D’ailleurs,
connaître Qui? et pourquoi? Existence vide du moindre événement
extérieur, retirée de la société dans une région retirée du monde, sans
la moindre « activité », la plus petite « création » de quoi que ce
soit.
1979. L’année du centenaire de la
naissance de cet hindou. Sa photographie se trouve dans d’innombrables
demeures, dans son pays natal mais aussi en Amérique, en Europe. Son nom
est connu d’une multitude de gens. Des études paraissent sur lui dans
les grandes revues culturelles, politiques, religieuses du monde entier :
Le Nouvel Observateur publiant un numéro spécial « Faits et chiffres
1975 » termine l’introduction de cette étude par deux reproductions
représentant l’une André Malraux, le front plissé et la main dans la
bouche… l’autre le Maharshi, serein, souriant. Deux seuls mots
d’explication : sous la première : « l’Occident » ; sous la seconde : «
l’Orient »!
René Guénon, dont toute l’œuvre est une
réhabilitation de la métaphysique voit en lui le pur représentant de
celle-ci. L’abbé Monchanin est marqué par lui, le moine bénédictin Dom
Henri Le Saux partant pour les Indes écrit que sa rencontre avec lui «
ne pourrait être qu’un événement dans ma vie ». Le père Thomas Merton,
comme Karlfried Graf Dürckheim, se réfère souvent à lui. Beaucoup de
religieux invoquent sa Présence, des chrétiens, catholiques,
protestants, orthodoxes ne se comptent plus qui ont retrouvé le message
en le voyant, certains même en le lisant ou en contemplant sa
photographie — dont la plus célèbre, prise par Mani en 1938 — reste de
nos jours saisissante pour tant et tant de personnes. Sa place est
immédiatement réservée pour figurer parmi les premiers ouvrages de la
nouvelle collection des Éditions du Cerf consacrée aux « témoins
spirituels d’aujourd’hui ». Des communautés portant son nom se créent
sur tous les continents. Aux Indes, afin d’inaugurer l’année marquant le
centième anniversaire de sa naissance, le premier ministre Sri Morarji
Desai, le 13 janvier 1979, lui rend un hommage public en rappelant qu’il
transformait ceux qui avaient le privilège de l’approcher. Son tombeau
est devenu un haut lieu de pèlerinage. Il est le « grand » Ramana
Maharshi, il est « le » Sage, il est l’ultime Lumière qui brille dans la
nuit glacée du monde moderne.
(Extrait du livre d’Henri HARTUNG : «
Présence de Ramana Maharshi ». Ed. le Cerf, Paris, 1979, Collection «
Témoins spirituels d’aujourd’hui »
Dans le « Vocabulaire technique et
critique de la philosophie », André Lalande donne trois définitions du
mot énergie : « capacité de faire effort; volonté d’employer toute sa
force; capacité de produire du travail mécanique ». Ainsi, en Occident,
ce mot évoque-t-il une personne énergique ou une forme de vigueur et de
dynamisme, c’est-à-dire, dans ces deux cas, une « efficacité »
dépendante d’une « forte » individualité… ou d’une machine.
Bien différent apparaît le point de vue
oriental, notamment hindou. Il s’agit alors aussi d’une Force mais
d’ordre cosmique, dépassant donc « immensément » l’individu. En
sanskrit, le mot shakti (ou sakti), de la racine sak — pouvoir —
signifie donc à la fois l’énergie et la « volonté productrice » du
Principe, donc son activité non-agissante ou sa possibilité de
manifestation. Dès que cette dernière se développe, l’énergie apparaît
partout, « elle est la substance de tout », comme l’écrit Alain
Daniélou, symbolisant la Force, ou le pouvoir du Principe sous ses trois
aspects complémentaires de Shiva, Vishnu et Brahmâ. C’est, dit Ramana
Maharshi en réponse à une question sur le sens du mot shakti, « une
énorme Puissance : ayez confiance en elle et en sa capacité de vous
conduire au but ». Que nous en soyons conscients ou non, cette énergie
vitale se situe toujours en arrière-fond de notre corps et de nos
activités mentales.
Nous en rendre conscients, contribuer à
l’éveil de cette Force est l’objectif de cette revue dont le nom est par
lui-même une indication essentielle.
Aussi, le point de vue du grand sage hindou contemporain sur un tel sujet ne peut-il laisser aucun lecteur indifférent.
Le plus grand commentateur des Vedas,
Shankarâchârya, qui vivait au neuvième siècle, caractérise l’état de
l’être humain qui a réalisé en lui sainteté et sagesse, par trois mots :
Bâlya, état comparable à celui d’un enfant; Pandîtya, état de celui qui sait et qui possède l’art de transmettre à d’autres la Connaissance ; Mauna,
état de muni, le solitaire et le silencieux qui a unifié sa personne au
sein de l’Harmonie cosmique. Il ajoute, conformément à l’enseignement
des Vedas, que ce dernier état est atteint lorsque l’énergie
principielle, redécouverte à l’intérieur de soi-même et s’étant mise à
circuler grâce aux canaux subtils, éveille à son tour les sept centres
spirituels de l’être humain appelés chakras (roues). Une telle
définition de la spiritualité peut apparaître, dans un premier temps,
comme complexe, peut-être même étrange. Elle ne peut pourtant pas être
plus simple. Reprenons-la ensemble.
Sagesse et sainteté : d’abord,
un état comparable à celui d’un enfant, donc spontané, désencombré ou
plus exactement, pas encore encombré par l’imprégnation culturelle et
religieuse d’une société rationnelle et inquiète. Rationnelle, donc
inquiète; Ensuite, un état de connaissant, donc d’une personne
qui sait, par son intuition immédiate de ce qui EST et non qui croit à
ce qui lui a été dit. Une vision, pas une opinion; Enfin, un
état d’union, donc de non dissociation, entre les différents aspects de
l’être, enfin harmonisés par la toute puissance de l’Esprit. Mais,
justement, pour que ces trois éléments, enfance, connaissance, unité,
puissent se réaliser concrètement, il est bien nécessaire qu’une Force
qui ne soit ni corporelle, ni mentale, ni affective, intervienne et
permette ce passage du temporaire à l’éternel, de l’existentiel à
l’essentiel, du psychosomatique au spirituel. Sans cette Energie, toute
modification de l’individu se limitera à quelques changements
transitoires et fragiles. Mais avec Elle, il s’agira vraiment d’une
transformation en profondeur et de la naissance d’une Personne
réconciliée avec le Principe de son existence.
Il est ainsi possible de poser le
problème de la vie intérieure en termes d’éveil de cette shakti.
Plusieurs méthodologies sont alors susceptibles d’être suivies et elles
sont bien connues des lecteurs d’« Energie Vitale » : le Yoga, le Zazen,
les méditations chrétienne — notamment la prière du cœur — et soufie.
La première est étudiée régulièrement dans cette revue; j’évoquais la
seconde dans le numéro 6 en présentant la vie et le message de Karlfried
Graf Dürckheim ; les deux dernières seront certainement abordées dans
un avenir proche.
Il ne convient pas ici d’insister sur ce
point, mais sur ce que je propose d’appeler la Finalité spirituelle de
ces différentes formes de méditation. Car, au-delà d’une pratique, — et
yoga, Zazen, prière, dhikir restent une pratique —, il y a celui ou
celle qui se tient, ici et maintenant, immobile et silencieux. Qui
est-il ? Qui est-elle ? Et comment une méthode en tant que telle
pourrait-elle permettre de répondre à cette interrogation centrale s’il
n’y a pas de la part du méditant un engagement préalable, total, à cette
recherche fondamentale : « Qui suis-je? »
Sur ce point décisif de toute recherche
spirituelle, Ramana Maharshi apporte un enseignement précieux. D’abord,
par la simplicité des mots qu’il utilise pour nous guider et, ensuite,
par la coïncidence entre tout ce qu’il dit et écrit et tout ce qu’il
est. Comme le note Frithjof Schuon, « il a manifesté la noblesse du
non-agir contemplatif en face d’une morale de l’agitation utilitaire ».
Il incarne la fameuse phrase des Upanishads : « Tat twam asi », « CELA,
(le Soi, Dieu, la Personne) toi, (le moi, l’individu) tu l’es ». Formule
qui, à travers les siècles, rejoint le rappel du Christ quand il
proclame que « le royaume des cieux est au-dedans de vous ». Aussi
convient-il de se poser continuellement la question « Qui suis je? »
afin de trouver au fond de soi-même, et non à l’extérieur, représenté
par un Dieu insaisissable, l’origine de notre ETRE. Le Maharshi est
explicite sur ce point : « Quelle que soit la forme de votre recherche,
vous serez obligé d’en arriver finalement au « Je » unique, le Soi. La
recherche du Soi ne renferme certainement pas une formule vide; c’est
bien plus que la répétition de n’importe quelle formule sacrée. Si la
recherche du Qui suis-je? était une simple investigation mentale, elle
n’aurait pas grande valeur. Le but même de la quête du Soi consiste à
focaliser l’esprit tout entier sur la Source. Ce n’est pas, par
conséquent, le cas d’un « Je » qui cherche un autre « Je ». Enfin, la
recherche du Soi renferme encore bien moins une formule vide, car elle
implique une activité intense de l’esprit tout entier, pour qu’il reste
fixé sans défaillance sur la pure conscience du Soi ».
Cette nécessaire observation intérieure,
les paupières baissées permettant au regard de se tourner vers le
dedans, apparaît bien ainsi comme ce préalable indispensable à toute
réflexion qui ne se veut pas seulement intellectuelle, à toute pratique
qui ne se destine pas à la seule pacification corporelle. Les musulmans
appellent une telle recherche la science des pensées — ilm el-khawâtir —
les chrétiens l’examen de conscience et les hindous l’investigation —
vichara — ou la discrimination — viveka — « Qui suis-je? » Je ne suis ni
ce corps, ni ses organes de perception — yeux, oreilles, nez, langue et
peau — ni ses organes d’activité externe — voix, mains, pieds, organe
génital — ni ses forces vitales — respiration, digestion, assimilation,
excrétion. Je ne suis pas non plus ces pensées, qui vont et qui viennent
sans relâche, ni ces sentiments. Plus profond, toujours plus en
profondeur, je retrouve alors une Béatitude qui est véritablement le
Soi, immuable, seul réel parmi tant d’apparences fugitives qui
s’évanouissent dès que je cherche à m’identifier à elles. « Se demander «
Qui suis-je? », « qui est enchaîné? » et connaître sa vraie nature
apporte seul la libération. Garder l’esprit constamment tourné vers
l’intérieur, et demeurer ainsi dans le Soi, constitue seul Atmâ-vichara
(l’investigation sur Dieu) tandis que dhyâna (la méditation) consiste en
la contemplation fervente du Soi comme Sat-Chit-Ananda (Etre pur —
Conscience totale — Béatitude) ». Cette citation de Ramana Maharshi
confirme la complémentarité entre l’indispensable finalité spirituelle
et la pratique de la méditation — Yoga, Zazen, … Considérés alors comme
support d’une réalisation intérieure n’ayant objectivement que peu de
choses à voir avec une quelconque gymnastique centrée sur le corporel.
Quête du Soi. Cherchez et vous
trouverez. Le Maharshi, Délivré vivant — jivan-mukta — demeure plus de
trente années après sa mort physique, le Témoin de cette Fulgurance de
l’Esprit, de cette spiritualité vivante qui nous permet de pressentir,
au milieu de la crise du monde moderne, la survivance de cette Energie
interne et externe à la fois, et sans laquelle nous resterions enfermés
dans les limites de nos constructions mentales, incapables en tout cas
de voir d’abord et de réaliser ensuite l’Harmonie cosmique.
Lectures :
« L’enseignement de Ramana Maharshi » Préface de Jean Herbert Ed. Albin Michel, Paris
Collection « Spiritualité vivante »
« L’évangile de Ramana Maharshi» Liminaires par Patrick Lebail Ed. Le Courrier du Livre, Paris, 1970.
Henri HARTUNG « Présence de Ramana Maharshi » Ed. du Cerf, Paris, 1979. Collection « Témoins spirituels d’aujourd’hui ».
« L’enseignement de Ramana Maharshi » Préface de Jean Herbert Ed. Albin Michel, Paris
Collection « Spiritualité vivante »
« L’évangile de Ramana Maharshi» Liminaires par Patrick Lebail Ed. Le Courrier du Livre, Paris, 1970.
Henri HARTUNG « Présence de Ramana Maharshi » Ed. du Cerf, Paris, 1979. Collection « Témoins spirituels d’aujourd’hui ».