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Il y en a qui yamaniyamisent du matin au soir et il y en a qui se fichent des yama-niyama.
Il y en a qui occupent une heure de yoga avec trois postures et il y en a qui enchaînent soixante postures à
la demi-heure.
Il y en a qui inspirent de bas en haut et il y en a qui inspirent de haut en bas.
Il y en a qui se dopent au kapâlabhâti et il y en a qui, au bout de cinq respirations, prennent un air de
héros fatigué.
Il y en a qui méditent à l’aube, d’autres le soir, certains tournés vers l’est, certains tournés vers
eux-mêmes, et d’autres qui ne méditent pas du tout, et d’autres qui croient méditer.
Il y en a qui s’ennuient en méditant et il y en a qui ne savent pas qu’ils s’ennuient en
méditant.
Il y en a qui beuglent des mantras, d’autres qui bricolent dans le tantra, d’autres qui dessinent des
yantras, et d’autres qui confondent mantras, tantra et yantras.
Il y en a qui savent le sanskrit, d’autres qui font croire qu’ils savent le sanskrit et d’autres qui
s’imaginent qu’en Inde tout le monde parle sanskrit.
Il y en a qui sont allés en Inde, je veux dire dans un ashram en Inde, et d’autres qui ont peur d’aller en
Inde, des fois que l’Inde ne ressemble pas à l’Inde.
Il
y a des gouroulogues, des gourouphones, des gourouphiles, des
gouroulâtres, des gouroulacariâtres, des
gouroumaniaques, des gourouphobes, des gouroupathes, des
gouroucides, des gourouphages, et il y aurait même encore quelques
gourous.
Il
y en a qui ont lu les Yoga-sûtra et qui regardent de haut ceux qui
n’ont pas lu les Yoga-sûtra. Il y en a
qui font semblant d’avoir lu les Yoga-sûtra, d’autres qui en ont lu
un résumé. Et il y en a qui les confondent avec les Kâma-sûtra.
Il
y en a qui sont pour les écoles — écoles du nord, écoles du Sud, écoles
du Nord-ouest, du Sud-sud-ouest,
Cachemire du XIIe siècle, Bihar du XIVe, tantrisme sikh, jaïnisme de
la Main gauche… — et d’autres qui sont contre les écoles (à bas les
systèmes, vive la spontanéité !) et d’autres qui disent
que toutes les écoles se valent, tout est dans tout n’est-ce pas, et
ceux qui changent d’école tous les deux ans et ceux qui ne supportent
pas qu’on change d’école.
Il
y en a qui ont six chakras, dont trois ouverts, et d’autres sept,
quatorze ou soixante-quatre, et tous
ouverts, ou bien alternativement, et puis qui peuvent ouvrir les
chakras fermés des autres, ou bien fermer leurs chakras ouverts,
attention pas de fausse manœuvre. Et puis il y a les malheureux
qui n’ont jamais senti en eux le moindre chakra et n’osent pas
l’avouer, sauf quand ils font un rebirth.
Il y a ceux qui combinent yoga et rebirth, yoga et psychanalyse, yoga et karaté, yoga et poterie, yoga et
chasse à courre.
Il
y a ceux qui ne cuisinent qu’au ghee, qui mastiquent cent huit fois
leurs graines hypercomplètes ou bien
qui les avalent le plus vite possible, bon débarras, il y en a qui
jeûnent et qui le font savoir, qui se purifient et vous le font sentir,
qui craignent plus que tout de se réincarner en cochons.
Et puis ceux qui mangent des côtes de bœuf en cachette et s’envoient
un coup de rouge en se demandant avec une angoisse délicieuse si cela
alourdira leur karma.
C’est
que oui-da il y a des obsédés du karma comme il y a des fanas du
mûla-bandha, des fondus de
l’uddiyâna, des frappés de jâlandhara, des forcenés de la bhastrikâ,
de vieux babas enragés de mudrâs, flottant dans le samsâra et dans
l’odeur du gañja
Comme
il y a des yoginîs fumeuses de bidis, frétilleuses de la kundalinî,
expertes en nauli, friandes de
samâdhi, goûteuses d’amaroli, virtuoses en sahajolî, qui se font
appeler Shakti lorsqu’elles s’unissent à leur Shiva, le samedi soir
après le yoga, pour faire maithuna, yab-yum et
youp-la-la.
(Mais il y en a tant d’autres qui voudraient bien savoir à la fin ce que c’est que maithuna, et cela les
énerve.)
Oui,
et ainsi va le samsarâ, et vive Mâyâ qui n’existe pas, si l’on en croit
Gaudapâda, il y a des hommes
qui se prennent pour des yogis, il y a des femmes qui se prennent
pour des yoginîs, il y a des souris et des hommes, des souris et des
yogis, et puis,
Shiva-Pârvatî
soient loués, il y a des hommes et des femmes qui ne se prennent pour
rien, et que le yoga
prend dans ses bras et porte doucement, tendrement, et emporte, vers
là-bas, qui déjà est ici, et c’est si beau alors et c’est si simple, le
yoga."