Le Prânâyama
dans les textes anciens
© Ralph
Stehly, Professeur d’histoire des religions, Université de Strasbourg
Deux orthographes sont possibles: prânayama
ou prânâyama.
La scriptio prânayama
est à décomposer en: prâna + yama (yama= "maîtrise", donc
"maîtrise du souffle")
La scriptio prânâyama
est à décomposer en: prâna + â-yama (â-yama= "rétention", donc
"rétention du souffle").
Étymologie de prâna:
pra = préverbe "vers
l'avant" (cf. latin "pro" dans "progresser")
* an "respirer" que l'on
retrouve dans d'autres langues soeurs: grec: anemos, "vent"
(cf. anémomètre) latin: anima "souffle, âme"->fr. âme.
L'étymologie indo-européenne
donne donc pour la racine *an le sens de "souffle, vent, âme",
autrement dit "souffle matériel ou immatériel". Ce double sens de
"souffle matériel et immatériel" existe aussi dans le sanskrit prâna:
souffle matériel (que l'on inspire et expire) et "principe vital
immatériel" , un peu comme quand on dit en français: "il a du
souffle", ce qui ne veut pas seulement dire "il respire, il vit
biologiquement", mais "il a un élan intérieur, une énergie
intérieure".
Rem.: ce double sens est
également présent dans le français "inspiration":
- inhalation de l'air lors de l'inspir
- inspiration dans le sens où l'on dit qu'
on est inspiré, qu'on a de l'esprit, qu'on est le lieu d'une énergie
créatrice qu'on éprouve comme venue d'ailleurs.
Cette équivalence existe
encore dans d'autres langues: Genèse 1.2: "La ruah de Dieu planait à la
surface des eaux", dans ce texte de l'Ancien Testament ruah signifie à la
fois "souffle" et "esprit". Dans le Nouveau Testament, le
terme utilisé est pneuma (cf. fr. "pneumatique"): c'est au
sens figuré le souffle de Dieu, l'inspiration de Dieu qui guide les apôtres et
l'Eglise, en un mot l'Esprit Saint.
Le prânayama consistera donc à
contrôler le prâna dans sa double dimension, extérieure et
intérieure, biologique et subtile.
Le prâna dans
les Upanishads
Le souffle, c'est la vie:
" Tous les
êtres vivants entrent dans la vie ici-bas avec le souffle et la quittent avec le
souffle" (Chandoggya-up. 1.1.5.)
Dans les Upanishads
anciennes, toutes les fonctions sensorielles (parole, respiration, oeil, oreille,
manas) sont appelées prâna. Cela s'explique aisément: elles
sont en effet considérées comme des énergies qui vont a la rencontre de leurs
objets et non comme des récepteurs passifs. Ce n'est que graduellement que le
manas et les organes des sens (indriya-s)) comme formes de la vie
consciente ont été distingués du prâna, pour la raison, nous dit-on,
que le prâna est la seule énergie qui soit
active à la fois dans le sommeil et à l'état de veille, et donc qu'il est, à
un niveau plus profond, le support de la vie en tant que telle:
" Dans le
sommeil, le manas entre dans le prâna" (Ch 6.8.2.)
[sous-entendu:
mais le prâna, lui, ne se résorbe pas, il reste comme support de la vie].
En tant que seul élément
permanent et indispensable de l'homme a travers les états de conscience, il est
devenu très tôt une représentation symbolique et empirique commode de
l'âtman, car présent comme lui dans tous les corps et partout dans le cosmos.
Mais il n'est pas l'âtman à proprement parler, il en est ultimement
différent, il n'en est que l'émanation:
" Le souffle
naît de l'âtman" (Praçna-up 3.3).
Çankara ne dira guère autre
chose, quand il soutiendra que le prâna est de l'ordre du Brahman
inférieur, premier-né du Brahman suprême (Praçna-upanishad-bhâshya 5.2).
Cette double vérité, que le prâna est
à la fois fondement de notre vie, mais seulement fondement avant-dernier, est
exprimé dans un très beau passage de la Kaushîtaki-up.
En 2.1, il est affirmé que la parole, l'oeil,
l'oreille et le manas sont les serviteurs
du prâna. Plus loin, en 2.2, on lit que chacun englobe l'autre
comme en des cercles concentriques:
la parole englobe la vision,
la vision l'audition,
l'audition le manas,
le manas le prâna.
Autrement dit, au fur et à mesure que l'on
progresse de la parole vers le prâna,
on progresse vers le centre de nous-même. Le
texte suggère qu'au-delà du prâna se trouve un noyau central:il s'agit
bien entendu de l'âtman.
Rem.: certaines upanishads distinguent
plusieurs variétés de souffles,
en général cinq. Si on fait la distinction,
- prâna désigne le souffle de
l'inspiration
- apâna le souffle de l'expiration,
quelquefois aussi le souffle qui va vers le bas, celui qui réside dans les
intestins
- vyâna "interspiration",
souffle qui se trouve à l'intervalle de l'inspir et de l'expir; il est
quelquefois également présenté comme le souffle diffus dans le corps à
travers toutes les artères
* samâna
"souffle total" (con-spiratio) ; il conjoint l'expir et l'inspir;
d'un autre côté il sert à digérer les aliments; centre: le nombril (manipûra-cakra)
* udâna "souffle d'expiration vers le haut": a son siège dans
la
gorge (viçuddha-cakra) .
Le prâna
comme principe cosmique universel
Nous venons de voir que, lorsque les
Upanishads ont recherché le principe ultime en nous, elles en ont trouvé sa
représentation (mais uniquement sa représentation) sous la forme du prâna.
De même, lorsque les Upanishads iront à la quête du principe ultime de
l'univers et qu'elles chercheront à l'appréhender sous sa forme phénoménale
tangible la plus évidente, elles le désigneront par le terme de prâna,
puisque le souffle habite à la fois l'univers et l'homme, tout comme le
Brahman.
Il n' y a donc pas seulement
le souffle de la vie dans les hommes, mais aussi le souffle cosmique qui
imprègne l'ensemble de l'univers. Mais l'un et l'autre ne sont pas deux
réalités distinctes, il s'agit de la même, réalité.
C'est là l'amorce d'un grand
principe de la pensée indienne: tout ce qui se passe dans l'homme a son
homologue dans le cosmos. Tout comme il y a une respiration humaine, il y a une
respiration cosmique (cycle: émanation et dissolution de l'univers). Tout comme
il y a des rythmes humains, il y a des rythmes cosmiques, l'ambition du yoga
étant de les syntoniser, c'est-à-dire de les harmoniser.
C'est le principe de
l'identité structurelle entre l'homme et l'univers. Ce principe est affirmé
pour la première fois en Rig-Veda 10.90, lequel regarde l'homme comme un
microcosme , et l'univers comme un macranthrope.
On peut encore exprimer ce principe
autrement:
ce qui se manifeste dans la nature trouve son
expression la plus claire et la plus complète dans l'homme. Ainsi les organes
de la nutrition correspondent-ils mystérieusement à la constitution de la
nourriture, les organes de la respiration à l'atmosphère, la structure
du pied à la consistance de la terre, et dans la courbure du crâne, c'est la
courbure de la voûte céleste qui trouve son reflet.
LE PRANAYAMA
Le prânâyama est quelque chose de
tout à fait banal en Inde, puisqu'il constitue le prélude du rituel
quotidien de la samdhyâ: 48 minutes avant le lever du soleil et autant
avant son coucher.
Le prânâyama comme
rite de purification
Le rituel hindou, encore
aujourd'hui en usage, insiste très fort sur la dimension de purification
interne que comporte le prânâyama. On le comprendra aisément, puisque
le prâna est le seul fluide qui imprègne la totalité du corps physique
et subtil, et qu'il assure la continuité énergétique entre notre corps et le
cosmos:
" Après qu'on a pris un bain pour
purifier le corps physique externe et qu'on s'est rincé la bouche, il convient,
précise le rituel, de réguler les organes internes par le prânâyama et
de les purifier par lui "
Celui-ci consiste à inhaler
de l'air par la narine droite, puis à comprimer les deux narines, et à retenir
l'air durant une minute, enfin à l'expirer finalement par la narine gauche.
Pour réguler les périodes d'inspiration, de rétention et d'expiration, on
récite la Gâyatrî, avec certains ajouts qui lui font atteindre 60
syllabes. Comme on met une seconde pour prononcer une syllabe, la période de
rétention du souffle durera donc une minute, de même l'inspir et l'expir:
om bhûh om
bhuvah om svah
om mahah om
janah
om tapas om
satyam [= Vyahriti]
om tat savitur varenyam
bhargo devasya dhîmahi
dhiyo yo nah pracodayât
[=Gâyatrî]
om âpo, jyotî
raso, 'mrtam, Brahma
bhûr bhuvas svar om
[çiras]
[Traduction:
Om. Terre. Om. Espace intermédiaire. Om.
Ciel.
Om. Tout-puissant. Om. Créateur.
Om. Energie. Om. Vérité.
Om. Ceci est la splendeur admirable du soleil.
Concentrons notre pensée sur l'éclat du dieu C= le soleil] Puisse-t-il mettre
en branle notre méditation î
Om. Omniprésent. Lumière. Quintessence.
Immortalité. Brahman. Terre. Espace intermédiaire. Ciel. Om ].
L'objet du prânâyama
est dans un premier temps de purifier le sang, de dégager la poitrine et de
donner du tonus à l'ensemble des organes internes, et dans un deuxième temps
de sanctifier
le corps tout entier d'en faire un temple de Dieu, en méditant qu' Il
habite sous son aspect créateur [Brahmâ] dans les organes digestifs ou dans le
plexus solaire, sous son aspect préservateur [Vichnou] dans le coeur et le
système circulatoire, sous son aspect générateur et régénérateur
[Çiva]dans
le cerveau et le système nerveux.
Chaque samdhyâ comporte trois prânâyama.
A chaque séquence du prânâyama
(inspir, rétention, expir), on récite mentalement les trois mantras ci-dessus.
Avant de prononcer chaque mantra on répète mentalement:
- le nom du rishi auquel le mantra a été
révélé
- la divinité qui est l'objet de la
méditation
* le mètre, le rythme et la
note sur lesquels est chanté le
mantra
* ce que l'on recherche pour
chaque mantra: dans la Gâyatrî, par
exemple, la régulation du souffle et purification de toutes les
impuretés physiques et mentales.
Chaque prânâyama comprend:
1) Purâka (inspir):
les deux mains du méditant tiennent un
chapelet et un vase à eau. On ferme la narine gauche avec l'annulaire et le
majeur, et on inspire par la narine droite, de telle façon que le prâna
atteigne le nombril. On médite sur Brahmâ que l'on se représente en tant
qu'il a une couleur rouge et quatre bras.
2) kumbhaka (rétention):
on ferme les deux narines et
la bouche. On médite sur Vichnou (et Krishna) tenant une conque, un disque,
bâton et un lotus dans ses quatre mains et assis sur l'oiseau Garuda. Couleur
bleue.
3) recaka (expir):
on expire lentement par la narine gauche en
récitant comme toujours les trois mantras (vyahriti, gâyatrï, çiras).
On médite sur Çiva
(couleur blanche) à deux mains, tenant un trident et un tambour, un croissant
de lune sur le front et assis sur le taureau Nandin.
Il convient de méditer sur ces trois
divinités comme résidant dans son propre corps et présidant aux trois
fonctions du corps: digestion (estomac), circulation (coeur) et fonctions
intellectuelles (cerveau).
La samdhyâ est un rite
en 18 temps. Pour le rite du matin, on trouve en deuxième position une
purification accompagnée d'une confession des péchés (âcamana) , puis
en sixième position l'hommage au soleil (sûryopasthâna): debout
sur un pied, l'autre étant contre la hanche,les paumes de la main ouvertes
tendues vers le soleil. L'ensemble se termine par la salutation au soleil, avant
qu'il ne parte pour sa course diurne, ou sa course nocturne .
Les textes anciens
1) La plus ancienne
attestation du pranâyama se trouve dans le
livre XV de l 'Atharva-Veda consacré à un obscur groupe d'ascètes
qui pratiquaient un certain nombre de rites dont précisément la
discipline du souffle.
2) Dans les Brâhmana-s, le prânâyama est
déjà associé au rituel: lorsqu'on chante la Gâ'yatrî, on ne doit pas
respirer, est-il dit en Jaiminî Br. 3.3.1.
3) Dans les Upanishads, le
prânâyama est homologué
à l'un des plus illustres sacrifices védiques: l'agnihotra, oblation au feu
que chaque maître de maison devait pratiquer quotidiennement le matin avant le
lever du soleil et le soir après le coucher. Le prânâyama est pour ainsi
dire un agnihotra intériorisé, spiritualisé et perpétuel :
"Tant qu'il parle, l'homme ne peut pas
respirer, et alors il offre sa respiration à la parole; tant qu'il respire, il
ne peut pas parler, et alors il offre la parole à la respiration. Ce sont là
les deux oblations continues et immortelles; dans la veille et dans le sommeil,
l'homme les offre sans interruption" ( Kaushîtaki-up. 2.5).
La première allusion à la
technique du prânâyama se trouve dans un passage plus long consacré à la
pratique du yoga, dans la Çvetâçvatara-up. :
"Tenant son corps ferme
aux trois parties dressées, faisant entrer dans le coeur les sens et la
pensée, un sage avec la barque du Brahman traverserait tous les fleuves
effrayants.
Ayant comprimé les souffles
dans le corps en réglant les mouvements, il faut que vous respiriez par les
narines avec un souffle réduit; comme un véhicule attelé avec de mauvais
chevaux, le sage doit contrôler sa pensée sans distraction.
Qu'on pratique le yoga dans un
lieu uni et pur, privé de cailloux, de feu et de sable, agréable au sens
interne par des sons, de l'eau, etc., qui ne déplaise pas à l'oeil, protégé
du vent par une dépression du sol.
Le brouillard, la fumée, le soleil, le feu,
le vent, les insectes phosphorescents, les éclairs, le cristal, la lune sont
les aspects préliminaires qui produisent, dans le yoga, la manifestation du
Brahman.
Quand la quintuple qualité du
yoga a été produite en surgissant de la terre, de l'eau, du feu, du vent et de
l'espace, il n'y a plus ni maladie, ni vieillesse, ni mort pour celui qui a
obtenu un corps fait du feu du yoga.
Légèreté, santé, absence
de désirs, clarté de teint, excellence de voix, agréable odeur, diminution
des excrétions, on dit que c'est là le premier effet, du yoga"
(Shvetâshvatara-up. 2,8.13)
La Maitry-upanishad (à peu près de la
même époque que la Bhagavad-Gîtâ c-à-d entre le -2ème s. et + 3ème
s.), en 6.21, mentionne l'artère sushumna qui sert de canal au prâna
et qui soutient (par le prânâyama et la méditation sur la syllabe om)
la méditation profonde par laquelle on réalise le détachement absolu. .
C'est la Yoga-tattva-upanishad
("Upanishad de l'essence du yoga") qui décrit le plus minutieusement
les techniques yoguiques. Le prânâyama y est décrit à partir de la
stance 36.
(44) Le prânâyama produit la
purification des nâdi.
(45) Ce qui se traduit par un
certain nombre de signes
extérieurs: légèreté de corps, augmentation de la puissance
digestive.
(52) Le kevala-kumbhaka (rétention
complète de la respiration) produit d'autres signes physiologiques (sudation).
(60-61) Le yogin devient fort et beau comme un
dieu et les femmes le désirent, mais il doit néanmoins persévérer dans la
chasteté.
(63) Le prânâyama est associé à la
rétention du sperme.
(85ss) traitent de physiologie subtile, les
cinq parties du corps (chevilles-genoux, genoux-rectum, rectum-coeur,
coeur-milieu des sourcils, milieu des sourcils-sommet du crâne) sont homologuées
aux cinq éléments cosmiques (terre, eau, feu, vent, éther) eux-mêmes liés
aux dieux Brahmâ, Vichnou, Rudra, Îçvara, Çiva.
L'upanishad la plus riche en indications
techniques sur le prânâyama est la Dhyânabindu-up.
C'est là que, pour la première fois dans les
Upanishads, il est dit explicitement que le prânâyama doit se faire sur
les trois principaux dieux de l'hindouisme (stance 21). (55-57) énumèrent les
trois artères subtiles où circule le prâna: sushumna (au
centre), idâ (à gauche, jaune, lunaire, féminine) et pingalâ
(à droite, rouge, solaire, masculine). (44-55) sont cités pour la première
fois les sept cakras:
♦ mulâdhâra-cakra(=
base, racine): entre l'orifice anal et les organes génitaux, en rapport avec le
souffle apâna
- svâdhishtâna-cakra (=qui se tient
par lui-même): à la base des organes génitaux, en rapport avec le souffle
prâna
- manipûra-c. (=cité du joyau): à
la hauteur du nombril, siège du souffle samâna
- anâhata-c. (= non battu): dans la
région du coeur, siège du prâna
- viçuddha-c. (cakra de la pureté):
région de la gorge, siège du souffle udâna
- âjnâ-c. (cakra du
commandement): siège des facultés cognitives
* saharsrâra-padma-c.
(cakra du lotus aux mille pétales): au
sommet de la tête, figuré sous la forme d'un lotus renversé à
mille pétales (le chiffre mille correspondant à toutes les
articulations possibles de l'alphabet sanskrit 50 x 20).
Les Yoga-sûtra de Patanjali ne
consacrent que trois sûtra au prânâyama: 2.49-51.
" Le
prânâyama est l'arrêt des mouvements inspiratoires et expiratoires et il
s'obtient après que l'âsana a été réalisé " (2.49).
Il ne nous est rien dit du
sens profond du prânâyama qu'il faut chercher dans les commentaires sur
les Yoga-sûtra, notamment chez Bhoja:
"Toutes
les fonctions des organes étant précédées par celle de la respiration -un
lien existant toujours entre la respiration et la conscience de leurs -fonctions
respectives- la respiration, lorsque toutes les fonctions des organes sont
suspendues, réalise la concentration sur un seul objet" (ad Yoga-sûtra
1.34).
La fonction du prânâyama
est donc, selon ce texte, d'ouvrir un espace propice à la méditation, a partir
d'un contrôle des états de conscience .
Mircea Eliade y voit aussi un
instrument d'unification de la conscience. L'unification dont il s'agit ici doit
être entendue en ce sens qu'en rythmant sa respiration et en la ralentissant
progressivement, le yogin peut pénétrer c-à-d éprouver expérimentalement
certains états de conscience qui à l'état de veille sont inaccessible et
notamment les états qui caractérisent le sommeil. On sait que les ascètes
indiens connaissent 4 états de conscience à part le samâdhi:
1) la conscience diurne
2) celle du sommeil avec rêves
3) celle du sommeil sans rêves
4) la conscience cataleptique, avec
respiration à peine
perceptible.
Le prânâyama dans le
hatha-yoga
Le hatha-yoga a été codifié
au 12ème s. notamment par Gorakshanâtha. Le Hatha-yoga-pradîpika de
Cintamâni (15ème s. ?) est un développement ultérieur et fidèle de cette
tradition.
Nous avions déjà vu qu'avec
la Yogatattva-upanishad, le corps était infiniment valorisé. C'est par
lui que la délivrance est possible. Le hatha-yoga soulignera avec plus
d'insistance encore que le corps doit être conservé le plus longtemps possible
et dans un parfait état, parce qu'il est le lieu de la délivrance. Cette
délivrance cependant ne peut être atteinte que par une véritable
transmutation de celui-ci.
Cette transmutation est réalisée au
moyen
1) d'une purification du corps: selon le Hatha-yoga-pradîpika
(2.4-9, 11, 20), le prânâyama sert à purifier les nâdi
(évalués à
72 000 en HYP 4.8)
2) d'une cosmisation du
corps:le prâna, comme on sait, circule
dans la pingalâ (solaire), et l'apâna dans l'idâ
(lunaire); les
deux principaux souffles sont donc assimilés au soleil et à la
lune. Il s'agira donc d'unifier en soi le soleil et la lune en
faisant remonter les deux souffles dans le canal médian: la
sushumna, c'est-à-dire de réintégrer en soi l'unité primordiale.
C'est dans ces textes qu'on
parle de la kundalinî. Le réveil de la kundalinî et sa
traversée de cakra en cakra est déclenchée là aussi par une technique dont
l'élément central consiste à arrêter la respiration. Une des méthodes
(radicales) les plus utilisées est la khecarîmudrâ: obstruction du
cavum par l'extrémité de la langue renversée en arrière vers la gorge (HYP
3.47-49). Pour réussir, le frein de la langue doit être préalablement coupé.
Pour accélérer l'ascension de la kundalinî, on
y a également joint quelquefois des pratiques sexuelles: non seulement
rétention du souffle, mais aussi du sperme.
C'est la que pointe le sens
profond du prânâyama et des pratiques qui lui sont associées. La vie
ordinaire est dissociation, dispersion des énergies. La nouvelle vie, celle du
yogin et de la yoginî, consistera donc à marcher contre le courant (ujâna-sâdhana)
, à unifier ce que la vie actuelle dissocie. C'est ce qui est réalisé par
l'union des souffles en nous: les énergies vitales qui circulent dans la pingalâ
et l'îdâ doivent s'unifier dans la sushumnâ, le masculin et le
féminin, le soleil et la lune, l'ensemble des contraires doivent être
unifiés. Il s'agit d'un véritable retour à l'unité primitive (celle de la prakriti
d'avant sa scission) par le biais d'une cosmisation du corps.
Le Kâlacakra-tantra (ouvrage
tantrique), tout
particulièrement, montre bien
le but cosmique du prânâyama. Il s'agit de faire en sorte que notre
respiration s'accorde, soit syntonisée, synchronisée avec celle de l'Univers.
Notre cycle respiratoire doit petit à petit correspondre à celui du cosmos: au
rythme du jour et de la nuit, puis à celui des quinzaines claires et sombres du
mois, à celui des mois, des années, pour en arriver aux grands cycles
cosmiques.
Il nous faut respirer comme respire
l'Univers.
Copyright Ralph Stehly.
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